Une tente de moins de 250g

Il existe sur le marché des centaines de modèles de tentes : de la simple bâche au bunker d'expédition, il y en a pour tous les besoins et tous les budgets. Mais la meilleure façon d'avoir une tente abordable adaptée à son besoin, c'est encore de se la fabriquer !

Une tente d'une place pour 250g, ça vous semble impossible ? Voyez-vous même ...

Pour arriver à un poids aussi bas, il faut avant tout bien comprendre une chose : ce n'est pas la tente qui tient chaud ! Ce qui tient chaud, c'est le sac de couchage. La tente n'est là que pour protéger de l'eau et du vent. Et pour ça, une simple paroi suffit amplement (pour la majorité des bivouacs).
Bien sûr, il existe plein d'arguments en faveur d'une double paroi (gestion de l'humidité, protection contre les bestioles, contre le vent, gain de température, etc...). Mais 500g de gagnés sur la tente, c'est 500g de duvet en plus (assez pour dormir par températures négatives...).

Je m'étendrai plus en détail là-dessus dans un article dédié, mais en attendant de parler de théorie, on va parler de pratique, testée et éprouvée.

Pour arriver à 250g, il n'y a pas de secret, il faut tout réduire au minimum :

  • une seule paroi ;
  • pas d'arceaux ou de mâts : on utilise les bâtons de marche et autres objets déjà à disposition ;
  • pas de fermeture éclair : un des pans de la tente se lève et se baisse ;
  • pas de sol attenant : on réduit la surface du tapis de sol au minimum ;
  • ses matériaux super légers : tissus, haubans, tapis de sol ;
  • des dimensions relativement réduites tout en restant confortables.

Toutes ces concessions sont peu alléchantes, mais il n'y a pas de petites économies. Ce sont les garanties d'une tente ridiculement légère et compacte !

Conception

Contraintes de confort

En bivouac, la tente, ou plus généralement l'abri, est un lieu de repos plus qu'un lieu de vie. Un espace sommaire suffit, mais il est quand même nécessaire d'y être confortable. Voilà les deux contraintes de confort que je prends en compte durant la conception de mes abris :

  • pouvoir cuisiner à l'intérieur;
  • pouvoir être assis et me changer sans toucher la toile.

Contraintes liées aux intempéries

Je n'ai pas toujours l'occasion de trouver un emplacement de bivouac protégé du vent. La forme de l'abri doit donc être aérodynamique et celui-ci doit pouvoir encaisser des déformations lors des rafales, sans trop réduire l'espace intérieur.

Et naturellement, le tissu doit également être suffisamment étanche pour résister à plusieurs heures de pluie continue ...

Alors quelle forme ?

Une des formes les mieux adaptées à ces contraintes est la construction en A-frame asymétrique. A-frame, en forme de A, comme une tente canadienne. Asymétrique, car un des deux sommets est plus bas que l'autre. On a en effet moins besoin d'espace au niveau des pieds que des épaules.

On peut utiliser deux bâtons de marche, un devant et un derrière, pour tendre la toile, qui sera fixée au sol sur les côtés par des sardines. Avec un bâton supplémentaire (ou un bout de bois, un piolet, une tige de carbone...), on peut utiliser les deux bâtons en A au point le plus haut, de manière à libérer de la place dessous. Il est ainsi possible de réduire l'espace entre les deux sommets.

La porte (en gris ci-dessus), se roule et de déroule dans le prolongement du bec frontal. L'ouverture est assez haute pour se glisser sous l'abri. De l'intérieur, il est facile de tendre le bras pour aller fixer la pointe de la porte à une sardine au sol.

Avec une telle forme et en utilisant les bâtons en A, seules 5 sardines sont nécessaires. Deux supplémentaires permettent d'augmenter l'espace intérieur ou de remplacer les pointes de bâtons dans un montage avec un seul bâton au sommet.

Le choix du tissu

Si le choix n'est pas grand en terme de qualité de tissu, il a tout de même une importance capitale dans la conception. La principale caractéristique à prendre en compte est son élasticité. Un tissu élastique, comme le nylon imprégné de silicone - ou silnylon - aura tendance à se détendre dès qu'il s'imbibe d'eau. Un tissu moins élastique, comme le nylon enduit de polyuréthane - ou nylon PU - ne se déformera que très peu avec l'humidité de la nuit. Le cuben possède les mêmes caractéristiques que le nylon PU.

Donc en terme de conception, les tissus en silnylon très bien adaptés à des abris pouvant se monter sous diverses configurations ou dont les points de mise en tension sont multiples (voir l'abri Olivier). Le nylon PU est plus adapté aux formes statiques.

Il existe bien d'autres différences entre ces deux types de tissus, notamment la résistance à la déchirure, mais l'élasticité est la principale à prendre en compte lors de la conception.

Version 1

J'ai réalisé la première version de mon abri en silnylon de 47g/m² avec les dimensions suivantes.

Le résultat est assez catastrophique. L'abri est n'est pas bien tendu en plusieurs endroits, la faute en partie à l'élasticité du silnylon. La porte indépendante n'est franchement pas une réussite non plus. J'ai voulu faire trop polyvalent, au détriment de la simplicité.

Mais sur le terrain, cette première s'avère tout à fait utilisable. Avec un peu de pratique, on arrive à le tendre correctement. J'ai quand même vécu quelques chouettes bivouacs avec !

Wasp v1 dans le vent

Les chiffres :

  • 240g haubans compris, ~50€ pour la matière première ;
  • au sol, 250cm dans la longueur en configuration fermée, 140cm aux épaules, 60cm aux pieds ;
  • en hauteur, 100cm au plus haut, 40cm au plus bas.

Version 2

Je voulais quelque chose de plus facile à utiliser. La porte amovible ne me plaisait pas. Et d'un peu plus spacieux également, pour pouvoir dormir en couple dessous ! L'abri gagne donc 20cm en longueur.

J'ai également troqué mon silnylon contre du Skytex 40 jaune, un nylon PU de 38g/m² fabriqué initialement pour les parapentes. Plus léger et moins élastique. Un peu moins imperméable, mais suffisamment pour mon utilisation. La porte reste en silnylon (gris) car dans ce cas l'élasticité est un plus. Elle n'a pas été dessinée, mais découpée d'après un modèle que j'ai temporairement cousu à l'abri et adapté sur le terrain pour obtenir les bonnes dimensions.

Wasp v2

Les chiffres :

  • 210g haubans compris, ~50€ pour la matière première ;
  • au sol, 270cm dans la longueur en configuration fermée, 140cm aux épaules, 60cm aux pieds ;
  • en hauteur, 100cm au plus haut, 40cm au plus bas.

Ajouté à ça une feuille de polyéthylène pour couper l'humidité du sol, et 5 sardines, on obtient un abri complet pour moins de 300g !

La construction en détail

Une fois le plan finalisé, il faut commander le tissu :) Pour connaître la quantité dont on a besoin, le plus simple est de reproduire à l'échelle 1/10 chaque pièce de l'assemblage sur du papier, et d'organiser ça sur un long papier ayant la même largeur de lé (à l'échelle...) que le tissu choisi.

Environ 4m de tissu à commander donc.

Pendant le tracé des pièces à découper, on doit réserver une marge pour la couture. Quelle taille de marge ? Ca va dépendre du type de coutures et de leur largeur :

  • pour assembler deux pièces entre elles, l'idéal est ce qu'on appelle communément une couture en Z (flat-felled seam en anglais). C'est celle qui procure le plus de résistance à la traction. Pour une couture de largeur 10mm, faudra une marge de 15mm.
  • pour les bords, un ourlet double suffit, soit 15mm de marge également pour un ourlet de 7.5mm.

Place maintenant à la découpe.

Il y a un principe à respecter pour obtenir une bonne mise en tension du tissu lors du montage : c'est le problème de la chaînette.

En mathématiques, la chaînette est une courbe [...] qui correspond à la forme que prend un câble [...] lorsqu'il est suspendu par ses extrémités et soumis à une force gravitationnelle uniforme (son propre poids).

Rapporté à notre cas, ça veut dire qu'une longue ligne de couture aura tendance à s'affaisser une fois en tension. Cela aura pour effet de détendre la zone de tissu adjacente au centre de la ligne (cf un peu plus haut la première photo de la version 1 de cet abri).

Pour éviter ce phénomène, il suffit de donner cette forme de chaînette aux coutures qui recevront de la tension. Principalement, la couture qui joint les deux sommets, ainsi que celle du bec frontal.

Il y a plusieurs techniques pour tracer cette courbe. L'idéal est de prendre une grande barre de métal ou de bois fin, la fixer aux extrémités de la ligne à arrondir, et d'exercer une pression en son centre.

Plus on appuie, plus la forme est marquée. Pour un abri, une courbure de l'ordre de 2 à 3% est bien adaptée. Donc pour ma faîtière de 184cm, la hauteur du segment circulaire est de l'ordre de 4cm.

On peut ainsi esquisser une courbe, garder une marge pour la couture, et découper.

Nous voilà prêts pour l'assemblage.

Commençons par le plus compliqué, le couture centrale en Z de la ligne faîtière. Se placer entre deux sommets et superposer bord à bord les deux pièces à assembler. La zone de recouvrement doit être égale à la taille de la couture (10mm), qui correspond à la première marque sur la photo ci-dessous. La deuxième est à 15mm, pour la deuxième étape. Coudre au milieu de cette zone de recouvrement.

On fait ensuite pivoter les deux pièces autour de la couture pour former le Z. Les marques à 10mm doivent se retrouver au bord de la couture, les marques à 15mm doivent être alignées sur la couture faite précédemment. On peut écarter de temps en temps le rabat pour vérifier par transparence que la première couture est toujours bien alignée.

Coudre à ras (1-2mm) du bord rabattu sur toute la longueur. Retourner l'ensemble et faire la même chose de l'autre côté. Si tout va bien, la trace à 15mm de l'autre côté devrait aussi être (à peu près...) alignée sur la première couture, et la trace à 10mm alignée sur le bord de la couture.

C'est fini, nos trois lignes de coutures sont faites mais seules deux restent visibles. Des deux côtés, la couture a la même tête.

Il ne reste plus qu'à faire de même pour toutes les coutures qui relient deux pièces. Lorsque l'on atteint un sommet, il faut s'arrêter un peu avant et reprendre un peu après. Avec les plis de la couture, le sommet se met en forme plus ou moins naturellement, il ne reste qu'à repasser avec un couture droite pour consolider le tout.

Découper ensuite de petites pièces de renfort pour les angles qui accueillent des sangles et des tendeurs. Préférer le point zig-zag pour coudre le renfort au tissu (pas comme sur la photo), il supporte mieux la déformation. Idéalement, on peut prendre les renforts dans le double ourlet du bord.

Le bec frontal et le sommet arrière sont équipés d'une boucle en sangle pour permettre la mise en tension de la faîtière.

On peut rajouter des renforts sur l'intérieur des deux sommets, mais cela nuit à l'étanchéité du tissu (les trous de l'aiguilles s'agrandissant sous la tension). Personnellement, je ne renforce pas les sommets. Si besoin, il est toujours possible d'envelopper les poignées de bâtons dans une "chaussette" de protection.

Avant de s'occuper de la porte, premier montage !

Tout va bien ! On peut passer à la dernière étape. J'utilise du silnylon pour faire la porte, plus élastique donc permettant de bien répartir la tension sur l'avant. Ma première expérience du silnylon ayant été mitigée (cf version 1), je n'ai pas tenté de dessiner la porte sur plan. J'ai découpé grossièrement la forme manquante et suis parti faire les ajustements sur l'abri monté (de nuit ...).

Rien n'est cousu, tout est ajusté à coup d'épingles. Je réussis après plusieurs essais à obtenir des dimensions convenables. Retour à l'atelier pour reporter ces dimensions sur un tissu non criblé de trous d'épingles !

Dernière couture en Z pour assembler les deux parties de la porte, un ourlet double sur les deux autres bords, et on peut fixer la porte au reste de l'abri, avec une simple couture droite (à travers deux ourlets doubles, soit 6 couches de tissu).

Et c'est tout, on est au bout. Je le baptise Wasp : il a la couleur et la forme d'une guêpe. Et qu'est-ce que j'ai pu me piquer pendant sa construction !

Il ne reste plus qu'à aller étrenner mon nouvel abri au pays des ours !